. Le judaïsme est l'un de ces invariants. On comprend que vous avez choisi de raconter l'histoire d'une famille juive car c'est un observatoire privilégié de l'histoire du XXe siècle, d'Odessa à Los Angeles en passant par New-York. L'histoire des États-Unis est également explicitée par ce biais. C'est aussi un judaïsme qui doit beaucoup au grand-père fondateur, un juif orthodoxe, comme le seront les jeunes à la fin de la saga. Finalement, le judaïsme libéral, pourtant très présent aux États-Unis, est peu envisagé dans ces romans. Pourquoi ?
Le choix d'une famille juive, vous avez tout à fait raison, vient de ce que, hélas souvent à leurs corps défendant, les Juifs furent des témoins et des acteurs de l'histoire du XXe siècle. L'idée de cette saga est également partie d'une histoire de la fondation des grands studios hollywoodiens par des migrants juifs, venant notamment d'Europe de l'Est, avec, en filigrane, l'idée que ces gens, privés de leur histoire, viennent ici pour recréer des histoires, poussés par un besoin de raconter et de reconstruire une sorte de Terre promise. Ce livre s'intitule d'ailleurs Le Royaume de leurs rêves, un très beau titre je trouve. Ensuite, pour ce qui est du judaïsme orthodoxe, je dirais que, même si de nombreux migrants ont abandonné la pratique de la religion pour n'en garder que quelques éléments folkloriques, ce ne fut pas le cas de tout le monde. Je me suis donc beaucoup interrogé dans la construction de mes personnages – allaient-ils embrasser leur foi, atermoyer, y revenir ? -, et en discutant avec plusieurs personnes autour de moi, j'ai réalisé que ces hésitations, que ces allers-retours représentaient une réalité. Pour le reste, ce retour à la foi orthodoxe est sans doute statistiquement faible mais j'ai fait ce choix en romancier. Je n'ai donc pas cherché à faire de ma famille une entité exemplaire ni voulu m'engager sur des questions religieuses : la religion sert de toile de fond. On est dans de la littérature de jeunesse ; les choses sont donc forcément simplifiées, on ne rentre pas dans le détail des questions religieuses.
. Certains personnages font aussi penser à des romans de Chaïm Potok.
Oui, tout à fait. J'ai lu plusieurs romans d'auteurs juifs américains. Je pense notamment à l'humour corrosif de La Lamentation du prépuce de Shalom Auslander, l'histoire d'un juif prisonnier de sa religion et qui essaye durant tout le livre de s'en libérer de manière complètement outrancière, en violant systématiquement tous les commandements, avec une sorte de désespoir tendre. Ses efforts à sortir de la religion montrent à quel point il est dedans ; son refus de Dieu est en fait un dialogue incessant avec Lui. Ce type d'écriture et d'itinéraire m'a pas mal inspiré.
. On suit avec attachement les différents personnages de cette famille, tout au long de la saga, et les femmes notamment, qui jouent un rôle central dans l'histoire familiale, comme chefs de clans, passeuses de la religion, etc. Était-ce important pour vous de leur attribuer cette place ?
Complètement. C'était important dans une œuvre de littérature traitant du XXe siècle, des États-Unis et des Juifs, mais aussi parce que la rôle des femmes dans la fantasy est le plus souvent réduit à la portion congrue, autour de stéréotypes oscillant entre la sorcière, la magicienne puissante, et l'esclave. Elles suivent le héros masculin, l'admirent ou attendent qu'il vienne à leur secours. Elles sont souvent outrancières dans leurs comportements, hyperactives. C'est un problème avec ce type de littérature car on a beau vouloir aller contre ces clichés, on est aussi dépendant de ce qu'on a lu et des passages obligés du genre, de sorte qu'on a du mal à développer de grands personnages féminins. J'avais pu faire cela dans un autre de mes romans, qui s'intitule La Malédiction d'Old Haven et qui est centré sur un personnage de sorcière, que je suis tout au long de 600 pages. Et ça m'a fait beaucoup de bien de prendre en charge un personnage féminin et de l'accompagner ainsi, de façon approfondie. Plus personnellement, je suis persuadé du rôle central des femmes notamment auprès d'hommes écrivains qui sont incapables de faire quoi que ce soit à la maison et qu'elles aident à sortir de leurs doutes. C'est mon cas comme celui de nombreux des mes amis écrivains hommes !
. Pouvez-vous, pour finir, nous dire comment cette saga a vu le jour ?
Cela remonte à cinq ou six ans. J'avais alors proposé le projet à une autre maison d'édition. Un projet ambitieux puisque j'envisageais une saga en dix volumes, ce qui séduisait et effrayait à la fois mon éditeur, car j'avais à l'époque moins d'assise qu'aujourd'hui. Le projet a néanmoins bien avancé avec mon éditrice chez eux, sauf que cette éditrice a finalement disparu du jour au lendemain, prise par des projets personnels. La saga a finalement revu le jour aux éditions du Seuil, où j'avais travaillé avec un autre éditeur sur un autre roman. Cet éditeur a quitté la maison et il m'a fallu donc ''séduire'' sa remplaçante, ce qui n'est jamais facile ni gagné d'avance. On s'est en fait immédiatement très bien entendus et c'est elle qui m'a demandé si j'avais d'autres projets sous le coude. J'ai donc remis La Saga Mendelson sur le tapis. Elle était d'emblée emballée, à l'exception des dix tomes. On a donc signé pour trois volumes et le projet allait pouvoir se faire. Cette éditrice a toujours été très enthousiaste pour ce projet, ce qui est très important car cela demande beaucoup de travail à l'auteur mais aussi de la part de l'éditeur ; nous avons vraiment travaillé la main dans la main.
entretien avec Marie-Paule Caire et Sarah McDonough
( Parutions.com – jeudi 27 mai 2010 )