L’auteur aujourd’hui
· Brigitte, comment se situe l’auteur aujourd’hui par rapport à l’auteur des débuts ? Il y a-t-il une différence (style, pensée, méthode…) ?
Une évolution, oui : un style plus libre, moins chargé en adjectifs (c’est encore un peu mon défaut), plus imagé. Une plus grande confiance en moi, donc des scénarios moins ficelés au départ. Une meilleure connaissance historique, qui enrichit mes scénarios dans les moindres détails, du « flair » pour trouver/vérifier l’info qui me manque.
· Quelle est ta définition de l’auteur jeunesse ? En es-tu un ?
En dehors de quelques articles d’histoire et d’archéologie au début des années 1980, je n’ai publié et écrit que pour les jeunes. Il est plus facile de définir le mot auteur que celui d’écrivain : je suis à l’origine (et donc responsable) des textes publiés sous mon nom, et ceux-ci sont destinés à la jeunesse, et aussi à tous les adultes qui sont restés jeunes.
L’écriture :
· Pourquoi écris-tu ? Est-ce quelque chose de facile à expliquer ? Non, très difficile. Je crois que j’écris pour garder la mort à distance. J’ai toujours un livre en gestation, cela me nourrit, me remplit, cela éloigne la peur de la mort. J’aurais pu peindre ou sculpter, cela m’aurait sans doute aidée pareillement, mais j’étais plus douée pour les mots… qui sont pour moi toujours des sources d’images.
· C’est quoi être écrivain ? Ecrire c’est quoi ?
ça, c’est la question la plus difficile, je la garde pour la fin et j’aurais peut-être répondu à travers les autres questions.
· Que penses-tu des écoles américaines dans lesquelles on peut apprendre à écrire ? En France, elles n’existent pas. Quel écrivain es-tu ?
Pourquoi pas des écoles pour faire des progrès en écriture ? Les écrivains de l’école du Montana ont tout mon respect et même au-delà car je n’oublierai jamais DALVA de Jim Harrison. Ecrire est (aussi ) une technique, que l’on peut améliorer. Et apprendre à enrichir un scénario n’enlève rien à la créativité. À condition, bien sûr, de ne pas accepter des paquets pré emballés, censés plaire au public, au détriment d’une œuvre personnelle.
· Arthur Ténor parle de lui comme étant un « explorateur de l’imaginaire. » As-tu une formule pour te caractériser ?
Moi je n’explore pas. Les images, les idées s’installent; j’ai plutôt l’impression d’une germination. En revanche, j’explore l’histoire, et parfois, au détour d’une recherche, éclate un détail, une anecdote que je vais placer dans un roman.
· L’écriture a-t-elle toujours été en toi ou est-ce quelque chose qui est arrivé tardivement dans ta vie ? Il y a t-il eu un élément déclencheur ? Oui, l’écriture a toujours été en moi. Je me souviens d’avoir écrit un jour un texte sur un coucher de soleil, j’avais moins de 10 ans et j’avais déjà découvert à quel point c’était exaltant de « trouver les mots » pour exprimer exactement les images que j’avais derrière mon front.
· Pour qui écris-tu ? A moins que ce ne soit pour un public ? Pour être lu ?
J’écris des textes pour qu’ils soient publiés. Un texte qui reste dans un tiroir est pour moi comme un enfant mort-né. Quand un livre est fini (surtout les romans) et qu’il part chez l’éditeur, j’ai l’impression d’offrir quelque chose au monde. Il m’est arrivé d’écrire aussi pour une personne en particulier, et de lui dédier le livre.
· Le public/l’éditeur t’ont-ils influencé à un moment donné ?
Le public, oui. J’ai écrit La route des tempêtes (en partie) grâce à des lecteurs qui m’ont demandé une suite au Quai des secrets. Et dans ce livre, j’ai donné de l’importance à un personnage secondaire (Guillemette, la cuisinière) parce qu’un garçon de 5° m’avait demandé peu avant ce qu’elle représentait pour moi. Je n’avais pas bien su lui répondre et il avait été déçu. Donc, je lui ai fait un clin d’œil en développant le personnage dans le tome 2. Et s’il ne l’a pas lu, ce n’est pas grave !
· Cette fameuse imagination, d’où vient-elle ? De quoi t’inspires-tu ?
Enorme question ! Je m’inspire de tous les souvenirs, toutes les émotions qui sont dans ma « marmite », un espace très particulier situé entre la tête et le cœur. Il y a des mini souvenirs, des détails comme une glace au chocolat ou une dispute avec ma grande sœur, et puis des ambiances, de douceur, de peur, de culpabilité… Je crois que mon enfance et mon adolescence sont les moteurs de l’inspiration. S’y ajoute ma connaissance de l’histoire qui m’apporte de belles trouvailles. Exemple : en 1418, une armée est entrée secrètement dans Paris grâce à un jeune homme qui a ouvert une porte en prenant la clé sous l’oreiller de son père profondément endormi (et sans doute un peu ivre); j’ai glissé cet épisode et tout ce qui s’ensuit dans mon livre Pendant la guerre de Cent ans, journal de Jeanne Letourneur… Les exemples de cette sorte sont très nombreux. L’histoire, c’est la vie d’avant, aussi riche et complexe que la nôtre.
· Comment procèdes-tu pour écrire ? Un plan ? des carnets ?
Oui, des cahiers partout, tout le temps pour noter une phrase, une image, des notes prises dans un bouquin, des idées, un prénom qui colle bien à un personnage…
Je fais un scénario avant d’écrire un roman, parfois très court. Quand j’ai commencé Les morsures de la nuit (Tome 1 des Poulfenc), j’avais pour scénario : c’est un jeune fils de chevalier, élevé dans un monastère, il sort du monastère car son frère étant mort, il est devenu l’héritier du château. Il doit s’adapter à sa nouvelle vie, qui est rude, et il découvre vite qu’on a tué son frère…
· A quel moment de la journée écris-tu ? Avec quoi ? Une heure précise ?
As-tu besoin d’isolement ?
J’écris toute la journée, parfois dès 6h du matin, mais jamais le soir. Directement à l‘ordinateur, sauf quand je suis en panne, (je prends alors mon cahier et crayon). J’ai un bureau, une petite pièce avec une jolie vue car je regarde souvent le ciel en travaillant. Et je suis seule, sans bruit, ni musique !
· Qui te lis en 1er ? Un proche ? Pourquoi ?
Mon éditeur en premier, hormis deux ou trois exceptions où une amie a lu les premiers chapitres. Au début de ma vie professionnelle, j’ai fait lire autour de moi et personne ne donnait le même avis, c’était très déstabilisant.
· Qu’aimerais-tu écrire ? Un sujet que tu n’as pas abordé et qui te taraude ? un genre ?
Peut-être une histoire au bord du fantastique, un roman pour adultes, ou jeunes adultes.
Cela ne me taraude pas, mais j’y pense.
· Ecrire à 4 mains cela te tente-t-il ?
Oui, dans un genre roman épistolaire, ou dialogue, ou pièce de théâtre.
· Est-il facile de vivre de sa plume ? Exerces-tu un autre métier ?
Non, pas facile ! Il y a eu au moins 15 ans de galère avant que j’aie suffisamment de livres pour que les droits d’auteur me permettent de vivre. Mais je n’ai pas d’autre métier. J’ai arrêté un jour les petits métiers annexes pour me consacrer totalement à l’écriture. c’était risqué mais il me semble que vivre de sa plume, c’est aussi une attitude de vie
· Qualités et défauts de la Femme ? qui rejaillissent sur l’écrivain ?
La sensibilité, la peur, le doute, le goût de la beauté, l’exigence avec soi-même (et avec les autres aussi !) le sens de l’organisation, l’imagination (donc la capacité à interpréter, avec risques d’erreur !), la vivacité, le besoin d’indépendance.…, à la fois qualités et défauts, tout dépend de leur acuité. La femme et l’écrivain sont indissociables.