3/ Les romans contemporains à arguments préhistorique et/ou archéologique
Raconter la Préhistoire, ce n’est pas obligatoirement décrire la vie de personnages du paléolithique. Certains auteurs ont choisi d’amener la Préhistoire jusqu’à nous… ou au contraire de nous amener, par le truchement de l’écrit, vers les préhistoriques.
- Les aventures archéologiques plus ou moins romancées
Aujourd’hui, la meilleure façon d’aller à la rencontre des hommes préhistoriques, c’est encore de s’agenouiller et de gratter le sol à la recherche des traces qu’ils ont pu laisser, bref de devenir archéologue. Trois romans mettent l’enfant dans cette situation :
• BAUMANN Hans : Le Mystère des grottes oubliées, Flammarion, coll. Castor poche. Ce roman aborde précisément les circonstances de la découverte des grottes de Lascaux et d’Altamira.
• POMMIER Maurice : Le Puits du taureau, Gallimard Jeunesse, coll. Folio Junior. C’est un mélange subtil de roman policier et de récit d'aventure, celle de la découverte d'une grotte préhistorique par des enfants. Ce livre est aussi l'occasion d'en savoir un peu plus sur le métier d'archéologue.
• SEMBLANÇAY Anne de ; VOGEL Nathaële (ill.) : Préhistoriens en herbe, Folio junior, coll. Drôles d’aventures, 2002, 92 p., 4,70 €. Le plus précis dans la description qu’il apporte du métier d’archéologue. L’enfant saura tout sur une fouille archéologique moderne : carroyage, sondage, stratigraphie, utilisation d’un théodolite, décapage, tamisage, lavage, marquage, avec en prime quelques notions sur les industries lithiques magdaléniennes et moustériennes… une approche de documentaire avec de nombreux dessins à la clé.
- Les transpositions dans le temps
Autre façon d’aller voir les préhistoriques : la machine à remonter le temps. Quelques romans représentatifs :
• DOYLE Arthur Conan : Le Monde perdu, Hachette Jeunesse, coll. Le Livre de poche, 2001, 348 p., 5,90 €. Roman du célèbre romancier anglais inventeur de Sherlock Holmes. Un professeur suspicieux, un militaire intrépide et un journaliste amoureux explorent un plateau inaccessible d'Amérique du Sud où subsiste les traces d’un monde disparu sur une terre primitive. Bien sûr ils vont découvrir d’étranges primates. Ce récit d’aventure est aujourd’hui très représentatif d’une vision colonialiste et raciale des sociétés humaines (bien prendre en compte qu’il date de 1912). Ainsi, trois humanités transparaissent clairement à travers ce roman :
- une espèce supérieure civilisée : l’homme blanc (voire le britannique…)
- une sorte d’hommes-singes, « anneau » manquant de l’évolution (problème de traduction pour chaînon), fourbes et cruels
- une espèce exotique, parfois attachante mais toujours faible et craintive : les Indiens autochtones, incapables de se défendre face aux Hommes-singes. Le scientifique de la troupe les classe ainsi « le type de cette race ne peut être considéré comme inférieur, à en juger par sa capacité cérébrale et son angle facial…Au contraire nous devons le placer sur l’échelle bien plus haut que nombre de tribus sud-américaines que je pourrais mentionner… ».
• GERMAIN Alain : Les Origines de l'homme, Hachette jeunesse, coll. Le livre de poche, 1997, 88 p., 4,80 €. Conte scientifique, prétexte à une mise en scène à la galerie de paléontologie du Muséum National d'Histoire Naturelle, ce récit très court permet d'introduire bien des notions savantes encadrées par un certain professeur Coppensius... Support idéal pour des travaux en interdisciplinarité au collège.
• GRONDEIN Danielle ; PAUTHIER Emmanuelle : Les Portes du temps s'ouvrent à Vallon-Pont-d'Arc, La Mirandole, Pascale Dondey éditeur, 1998, 112 p., 7,62 €. Ce petit livre est la concrétisation d'un programme Archéologie-Patrimoine-Environnement d'une classe de 6ème du collège de Vallon-Pont-d'Arc. Tout le monde s'y est mis : le professeur de français, d'histoire & géographie, d'arts plastiques, de gym et même d'anglais.
• KERILLIS Hélène : La Classe de 6ème et la tribu des Cro-Magnons, Hatier, Paris, coll. Ratus Poche, 2003, 63 p., 4,50 €. Petite collection sympathique avec des questions qui émaillent le texte, histoire de vérifier que le lecteur comprend bien ce qu’il lit. La Préhistoire ne constitue ici qu’un prétexte à l’intrigue, il n’empêche, ce n’est pas une raison pour indiquer dans le petit lexique qu’un primate est « un homme peu évolué, encore proche du singe ». Il serait bon que les auteurs jeunesse « évoluent » aussi sur le sujet…
4/ Les « fausses histoires vraiment farfelues »
Ce genre est moins représenté. Il semble bien que les auteurs pour la jeunesse hésitent à se lancer dans l’extravagant scientifique. La plupart des titres s’adresse à une tranche d’âge inférieure : plutôt les premiers lecteurs du Primaire que les collégiens. Comment faut-il interpréter cette cible différente ? Sous prétexte que le lecteur est plus jeune, il ne pouvait comprendre toutes les subtilités de la
science préhistorique ? A moins que le jeune âge du lectorat ne donne davantage le droit de lui raconter des bêtises ? Inutile de préciser que je ne souscris guère à ces deux allégations perfides… Le courant de la préhistoire plus ou moins fantastique est donc quelque peu délaissé. Pourtant, à partir du moment où l’auteur ne triche pas et annonce clairement que ce qu’il raconte est davantage le fruit de son imagination que de recherches archéologiques et n’a pas la prétention d’être une histoire vécue, l’introduction d’une bonne dose de divagations dans le récit ouvre bien des portes. Il est par exemple intéressant sur ce genre d’écrits de faire chercher aux enfants ce qui est du domaine du possible (existence d’un consensus scientifique), ce qui est peu probable (petites affabulations d’auteur) et ce qui tombe dans le loufoque ou l’invraisemblable (avec ou sans l’assentiment de l’auteur…). Cette recherche pourra s’effectuer avec l’aide de bons documentaires, la formation du lecteur passant par l’utilisation et le recoupement de plusieurs informations puisées dans différents types d’écrits. Cette famille d’ouvrages permet aussi de sortir un peu des histoires parfois convenues décriées plus haut.
• L'Animal lumineux, six histoires de Préhistoire, Fleurus, coll. Z'azimut, 2000, 176 p., 6 €. Six courtes nouvelles qui ont le mérite d'être variées. C’est le principe même de cette collection chez Fleurus : il y en a pour tous les goûts : du pseudo-réaliste à
l'humour en passant par la science-fiction, le roman d’amour, le fantastique ou le policier.
• BERREBY Patricia ; OUBRERIE Clément (ill.) : Je veux être un Cro-Magnon, Casterman, coll. Six & plus, 2002, 38 p., 5,50 €.
Petit album écolo-préhisto-rigolo pour les lecteurs débutants. L’album incite à imaginer, avec une bonne dose d’autodérision une préhistoire idyllique, une société égalitaire, quelque peu insouciante : une bonne occasion d’aller y voir de plus près.
• BRION Alain, Hannibal : Le Petit mammouth, L'École des loisirs, 1997, 32 p., 11,50 €. Une histoire de mammouth pour les toutpetits qui nous plaît beaucoup. Ici pas de traces anachroniques de dinosaures (souvent mélangés aux faunes quaternaires dans les albums jeunesse) mais du Mammouth, du Rhino, de l'Ours, des Souris et des « Zoms ». Le graphisme est beau, drôle et Hannibal adorable. Reste à savoir si le Mammouth avait effectivement peur des souris comme l'auteur le mentionne. Nous étudions les (trop rares) témoignages archéologiques sur le sujet avant de nous prononcer définitivement.
• NIEBISCH Jackie : On a piégé le mammouth, Pocket, coll. Kid Pocket, 1994, 60 p., 4,70 €. Ouvrage adorablement désuet qui offre de nombreuses ouvertures sur les thèmes de la prédation, les techniques et les armes de chasse, la spécificité de la faune et de l’environnement glaciaire, l’utilisation de l’os et de l’ivoire dans la construction ou l’art paléolithique…
• PIQUEMAL Michel ; LE NEOUANIC Lionel (ill.) : Le Sandwich de mammouth, Milan Poche, coll. Quelle Aventure !, 2001, 24
p., 4 €. Le titre indique clairement l’aspect décalé du récit. Les incohérences abondent dans le dessin : il y a des chiens et des poules dans le campement préhistorique, des massues pour seule arme et même un monocycle de forain. Du travail de décryptage en perspective…
• SCIESKA Jon : Ta mère est une Néandertal, Bayard Poche, Coll. Délires Passion de lire, 2001, 112 p., 4,50 €. Sa lecture fournira a contrario un bon prétexte à la réhabilitation de nos cousins.
• THIES Paul : Petit féroce n'a peur de rien, Hatier/Rageot, coll. Cascade, 1996, 89 p., 6,70 €. Des forêts de baobabs et de cocotiers où vivent des mammouths, des diplodocus, des massues, des monstres dans le lac… l’auteur n’a peur de rien mais ne prétend de toutes façons pas au réalisme. Du reste les trois pages d’informations documentaires sans être géniales, ne comportent, elles, pas d’aberrations.
5/ Les Bandes Dessinées
La bande dessinée est curieusement sous utilisée compte tenu du fait que la Préhistoire ouvre de larges portes sur un monde a priori très visuel.
Citons notamment
• FÉLIX Thierry ; BIGOTTO Philippe : Le Secret des bois de Lascaux, Dolmen Éditions, 1996, 48 p., 10 €. La découverte en septembre 1940 de la plus fameuse des grottes ornées racontée en bande dessinée. Quelques fac-similés de journaux d'époque nous rendent cette incroyable aventure bien réelle.
• FUENTE Victor de la ; VAIDIS Michel : La Vallée des rennes, MSM, 1998, 64 p., 12 €
• GOYALLON Jérôme ; COPPENS Yves ; VOMORIN Jean-Paul : Les Observateurs de la terre, vol 6 : la planète menacée, BRGM, 1991, 48 p., 9 €. La bande dessinée scientifique, il fallait y penser. Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières l'a
réalisée. Ce très sérieux organisme du Ministère de l'Industrie, qui édite notamment les cartes géologiques de la France sur lesquelles des générations d'étudiants en géographie ont usé leurs yeux, publie également cette remarquable collection qui nous emmène en 7 volumes de la création de l'Univers à l'Holocène. Ce sixième album couvre la période 5,3 millions d'années – 10 000 ans et traite donc de l'apparition des hominidés puis du genre humain. La formation de géologue de l'un des auteurs transparaît au travers de nombreux autres sujets : le métamorphisme, le plissement alpin, le grand canyon du Colorado, les glaciations, les loess... bref, il y a rarement eu autant de thèmes scientifiques traités entre la première et la dernière page d'une bande dessinée. Pour toute commande, s’adresser à BRGM Éditions, 3 avenue Claude Guillemin, BP 6009 – 45060 Orléans Cedex 2.
• HOUOT André : Le Couteau de pierre, Tête-brûlée, On a marché sur la terre, Le Soleil des morts. Fleurus ou Lombard, coll. Chroniques de la nuit des temps, 1987-1992, 48 p., 7,93 €. Comme le précise Yves Coppens qui préface l'une de ces B.D., les données de la science sont parfois ingrates : quelques cailloux plus ou moins aménagés, de rares ossements épars, des traces de pas, deux molaires... et il faut à partir de là reconstituer un squelette, analyser la façon dont il pouvait se mouvoir, mettre une forme sur ces ossements, appréhender les connaissances techniques que cet être pouvait maîtriser, comprendre sa vie quotidienne, l'organisation familiale, sociale à laquelle il était intégré, approcher sa vie spirituelle... La Préhistoire manque parfois cruellement d'images à donner au grand public. Ces ouvrages cherchent à combler cette lacune en mettant en scène des personnages de la Préhistoire, en leur donnant des noms, des visages, des sentiments, une histoire... et les hommes préhistoriques deviennent subitement plus humains. La réédition de ces albums tarde à venir.
• LECUREUX ; CHERET : Rahan et l’homme de Tautavel, Soleil Production, 1997, 48 p.
Conclusion
Autant il est possible de dégager un certain consensus sur la qualité intrinsèque de documentaires autant en matière de fiction la
sélection est beaucoup plus aléatoire. Les attentes de chacun sont en effet différentes.
Comment définir une bonne fiction en préhistoire à partir du moment où tout le monde n’en attend pas la même chose, n’en n’a pas la même utilisation ?
Pour le professeur de Lettres, la bonne fiction sera sans doute celle qui donnera envie de lire d’autres livres ou celle qu’il estimera posséder des qualités littéraires ; pour papa et maman c’est peut-être celle qui donnera un répit entre la « Starac » et « Les feux de l’amour » ; pour un conservateur de musée, c’est plutôt celle qui donnera envie d’aller visiter un musée, son musée ; pour le préhistorien c’est celle qui ne comportera pas trop d’inexactitudes et qui donnera envie d’aller se documenter davantage sur la période concernée ; pour l’archéologue, c’est celle qui incitera à participer à une campagne de fouilles …
Aucune utilisation du récit n’est en soi condamnable. Aucun objectif d’écrivain n’est en soi répréhensible. Il convient simplement de mettre l’accent sur les objectifs qui apparaissent ratés ou discutables : le roman de reconstitution à prétention réaliste truffé d’erreurs scientifiques aussi bien que le récit fantaisiste qui fonctionne sur des valeurs racistes ou le trait d’humour qui ne fait rire que son auteur.
Je terminerai juste par une évidence.
Tout écrit sur la préhistoire véhicule des informations, des connaissances, des histoires, du sentiment à partir d’un support, l’écrit, qui définit justement, par défaut, la période même de la Préhistoire. Cela pose forcément problème et soulève quelques questions d’ordre épistémologique sur les moyens que l’on se donne pour accéder à une connaissance. Même si cela doit être manipulé avec précaution (nous l’avons évoqué plus haut) tentons un parallèle ethnologique : pour percevoir la richesse des cultures orales noires africaines, il existe des livres de contes. Certains sont magnifiques et beaucoup de bibliothécaires savent lire… avec conviction. Mais tout de même, un conteur, un vrai conteur venu du Mali ou de Sénégal, en habit traditionnel avec quelques percussionnistes, ça donne tout de suite une force tangible, une authenticité (une vérité ?) à ces cultures si éloignées des nôtres.
Alors, en attendant que les généticiens nous fabriquent des Néandertaliens du XXIème siècle, contentons-nous des mots que des écrivains plus ou moins sages mettent dans leur bouche.