“La littérature jeunesse
ce n’est pas de la vraie littérature !”
… affirment certains.
Dans ce cas, cette littérature mineure doit être facilement identifiable, surtout par des lecteurs adultes expérimentés.
Voici 32 premières pages intégrales de 32 romans. Certains sont publiés dans des collections pour la jeunesse, d’autres en littérature générale (classique parfois), d’autres encore proviennent de romans écrits par des enfants dans le cadre de leur classe.
Précision : Toutes ces premières pages ont été recopiées dans la même typographie et la même présentation. Si l’affirmation de départ est exacte, littérature jeunesse et littérature générale doivent pouvoir se distinguer par d’autres caractéristiques que l’aspect matériel.
La règle du jeu consiste donc à repérer ce qui relève de la littérature jeunesse de ce qui correspond à de la littérature adulte, en mettant tout simplement une croix dans la bonne colonne..
Les solutions sont lisibles plus loin !
1
Un jour mon père nous a dit : « Au revoir les enfants, portez-vous bien et à dans trois semaines ! »
J’avais onze ans et maintenant j'en ai treize. Vince n'est pas encore revenu.
Mon père, il était grand, fort et très viril, très macho argentin quoi! Et quand il m'a soulevé dans ses bras pour m'embrasser sur le nez, façon esquimau, car entre lui et moi « s'embrasser à l'esquimau brûlant » c'était un jeu de tendresse, j'ai tout de suite senti qu'il avait pris des vitamines et que donc il était déjà dans la haute montagne.
Mon père il s'appelait Vincent mais tout le monde disait « Vince » à cause du sang et des chiffres qu'il n'aimait pas. Ses enfants : c'étaient ma mère Nora, et moi-rnême Alex. Chaque fois qu'il partait marcher dans le monde sous-développé, il prenait ses distances avec ma mère en l'appelant « son enfant».
2
Un jour glacial de février, à une heure avancée, deux gentlemen buvaient ensemble dans une salle à manger richement meublée d'une petite ville du Kentucky. Aucun domestique n'était présent, et les deux Personnages, dont les chaises étaient rapprochées, semblaient s'occuper d'un sujet de plus haut intérêt.
Nous avons cru, par convenance, devoir les qualifier tous deux de gentlemen, ou hommes comme il faut. L'un d'eux cependant, examiné d'un oeil critique, n'appartenait pas strictement à cette catégorie. C'était un individu court et épais, aux traits communs, ayant cet air de prétention et de forfanterie qui caractérise un homme de condition inférieure quand il essaie de sortir de sa sphère. Il portait un gilet voyant et bariolé, une cravate bleue parsemée de taches jaunes, et dont le noeud trop large était en rapport avec la physionomie générale du personnage. Ses grosses mains étaient décorées de bagues; sa montre était retenue par une lourde chaîne d'or,
3
Le train sortit du trépidant corridor de roches vermeilles, pénétra dans les plantations de bananiers, symétriques et interminables; l'air devint alors humide et on ne sentit plus la brise marine. Une épaisse fumée suffocante entra par la portière de la voiture. Dans le petit chemin parallèle à la voie ferrée, des boeufs tiraient des charrettes chargées de régimes de bananes vertes. De l'autre côté, sur des terres capricieusement soustraites aux cultures, on voyait des bureaux avec des ventilateurs électriques, des bâtiments de brique rouge et des résidences avec des chaises et des tables blanches sur les terrasses au milieu de palmiers et de rosiers poussiéreux. Il était onze heures du matin et le soleil ne dardait pas encore.
- Tu ferais mieux de remonter la vitre, dit la femme. Tu vas avoir du charbon plein les cheveux.
La fillette obéit mais le store rouillé resta bloqué.
C'étaient les seuls passagers de ce sobre wagon de troisième classe. La fumée de la locomotive continuant à entrer par la portière, la petite fille se leva et mit sur son siège les objets qu'elles avaient emportés : un sac en plastique avec un casse-croûte et un bouquet de fleurs enveloppé dans du papier journal. Puis elle alla
4
Ils abandonnèrent le chemin encaissé et l'abri de ses ronces épaisses. Le vent d'est leur sauta au visage, griffa leurs joues et cingla leurs jambes nues; des larmes froides et piquantes perlèrent entre leurs paupières plissées.
Les trois enfants bifurquèrent vers l'extrémité du plateau et se coulèrent entre les genévriers. La neige couinait sous leurs pas, s'accrochait aux clous de leurs sabots et leur faisait de grosses et lourdes semelles blanches; ils s'arrêtaient souvent, choquaient leurs pieds l'un contre l'autre pour décoller les blocs glacés, puis reprenaient leur trottinement.
L'aîné ouvrait la marche; il allait sans hésitation et aussi vite que le lui permettaient les broussailles, les congères et les rochers. Derrière lui venait un jeune garçon qui tirait, à bout de bras et d'une main ferme, une petite fille au visage rougi par le froid. Elle reniflait bruyamment et devait presque courir pour soutenir l'allure.
- C'est là, indiqua le plus grand.
Ils s'approchèrent du genévrier. La grive était raidie, gelée, dure comme une pierre. La bise lui donnait un semblant de vie en la faisant tournoyer autour du collet de crin suspendu à une
5
L'obscurité, la solitude, le silence, j'aime. Normal, pour un spéléologue. Aussi, quand les lumières se rallumèrent sur trois mille spectateurs enthousiastes et applaudissant, je ne me sentis pas vraiment à mon aise. Pour ajouter à mon angoisse, Paul Tifen, le directeur de Connaissance de l'univers, m'arracha à mon fauteuil et me poussa sur la scène en braillant :
« Et voici l'explorateur qui a vécu et filmé cette grande aventure souterraine... J'ai nommé: Rémiro !»
Je dus m'avancer jusqu'au centre du plateau, boitant et grimaçant car, depuis mon accident, je ne sais plus vraiment ni marcher ni sourire.
« Si vous souhaitez, demanda Tifen, poser quelques questions à Rémiro... »
Ils ne souhaitaient pas me poser de questions. Ce qui tombait bien, car je n'étais pas disposé à y répondre. Aujourd'hui, les gens n'ont que peu d'exigences : se distraire beaucoup, travailler peu, et vivre le plus vieux possible. Dans le domaine des loisirs, je remplis mon contrat et les salles : les spectateurs viennent, pendant deux heures, vivre en relief, stéréophonie et haute sensibilité les émotions que j'ai vécues en réalité. Bref, ils font de la spéléologie par procuration - le plaisir sans les risques. Alors, le dialogue après le spectacle, ce sont en quelque sorte des heures supplémentaires : ça ne les intéresse plus.
6
Quand vous tombez sur un cadavre, ce qu'il y a de plus troublant, c'est qu'il vous regarde bouche bée, sans rien dire, comme s'il cherchait à vous reconnaître. Et on a l'impression qu'il vous reproche quelque chose.
À deux heures du matin, quand on rentre chez soi complètement crevé, après avoir conduit toute la journée un camion frigorifique, ça irrite un peu. Même si, pour dire vrai, le cadavre n'est pas encore tout à fait mort !
Au moment où j'ai introduit la clé dans ma serrure, la porte voisine s'est entrouverte lentement. Sans grincer. Rien à voir avec un film d’horreur ! D’ailleurs il n’y avait pas de musique d’accompagnement. Dommage ! Car alors je n’aurais pas pu entendre le gargouillement d’agonie qui m’a flanqué une trouille de tous les diables.
J’aurais pu faire semblant de n‘avoir rien entendu, bien sûr, mais ma bonne éducation civique est insoluble dans la fatigue, hélas ! Alors je me suis précipité dans l’appartement d’à côté.
7
Cela fait bien trois longues minutes maintenant que l'hermine a disparu derrière ce buisson de bruyères. Je suis absolument certain qu'elle est là, qu'elle attend. Au moment où j'allais me décourager, où j'allais esquisser un premier pas prudent pour le seul plaisir de l'observer à nouveau, de la forcer à se découvrir, son museau pointe de l'autre côté de la touffe, là où je ne l'attendais pas. Je la suppose sur ses pattes arrière, mais c'est une fraction de seconde et déjà la tête triangulaire replonge dans les buissons. Elle a vérifîé que j'étais là, toujours là ! Elle est rousse dans son pelage d'été, il y a un côté à la fois reptile et rieur dans ses deux yeux noirs.
Durant quelques secondes, protégée par ce rideau de branches rases, je la verrai cinq fois, dix fois, dresser ici ou là sa tête d'épingle comme une mante religieuse. J'ai fait trois pas prudents en sa direction en écoutant mon coeur et la voici qui volte à découvert sur la droite, comme si je n'existais plus. En moins de deux pas de ma part, elle a parcouru une bonne dizaine de mètres. presque sans toucher
8
Pas de doute, Février était un monstre, un mois qui n'apportait que laideur et tristesse ; une terrible bête qui avait dévoré Harvey Swick tout cru. Et celui-ci se morfondait au fond de son estomac.
Les vacances de Pâques lui paraissaient si lointaines ! Perdu dans les glaces de l'hiver, Harvey n'était pas sûr de pouvoir survivre jusque-là. Non, il ne tiendrait jamais jusque-là, et il le savait. Sans doute qu'à force d'ennui, il finirait par oublier de respirer. Alors, peut-être se demanderait-on comment un garçon si jeune pouvait mourir ainsi. Mais personne ne pourrait répondre à cette question, et sa mort deviendrait un des grands mystères de notre temps. Jusqu'au jour où, peut-être, un grand détective amateur d'énigmes insolubles finirait par s'y intéresser. Afin de découvrir les raisons de cette mort inexplicable, le grand détective déciderait de vivre une journée de la vie de Harvey Swick. Alors seulement, le monde connaîtrait la triste vérité.
D'abord, le détective suivrait le chemin que Harvey empruntait chaque matin pour se rendre à l'école. Après cette promenade sans attraits, il s'assiérait derrière le pupitre de Harvey ; et là, il devrait subir la voix monotone du professeur d'histoire, puis du professeur de sciences naturelles. Le
9
Désirée battit des mains. C'était une enfant de quatorze ans, forte pour son âge, et qui avait un rire de petite fille de cinq ans.
- Maman, maman ! cria-t-elle, vois ma poupée !
Elle avait pris à sa mère un chiffon, dont elle travaillait depuis un quart d'heure à faire une poupée, en le roulant et en l'étranglant par un bout, à l'aide d'un brin de fil. Marthe leva les yeux du bas qu'elle raccommodait avec des délicatesses de broderie. Elle souriait à Désirée.
- C'est un poupon, ça ! dit-elle. Tiens, fais une poupée. Tu sais, il faut qu'elle ait une jupe, comme une dame.
Elle lui donna une rognure d'indienne qu'elle trouva dans sa table à ouvrage; puis, elle se remit à son bas, soigneusement. Elles étaient toutes deux assises, à un bout de l'étroite terrasse, la fille sur un tabouret, aux pieds de la mère. Le soleil couchant, un soleil de septembre, chaud encore, les baignait d'une lumière tranquille, tandis que, devant elles, le jardin, déjà dans une ombre grise, s'endormait. Pas un bruit, au dehors, ne montait de ce coin désert de la ville.
Cependant, elles travaillèrent dix grandes minutes en silence. Désirée se donnait une peine infinie pour faire une jupe à sa poupée. Par moments, Marthe levait la tête, regardait l'enfant avec une tendresse un peu triste. Comme elle la voyait très embarrassée:
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C'était leur chance et ils la manquèrent, et les Anglais se retrouvèrent de but en blanc hors de combat. Le fait était insolite et humiliant. C'étaient eux les maîtres, et, tout à coup, voilà un élève qui arrive, et patatras ! il envoie promener leur histoire et leur expérience, et leur maîtrise, et leur technique, et toutes leurs vieilles gloires. Et c'était bien ce que Juan disait en tournant le bouton pour faire monter le son de la radio :
- Les Anglais doivent être fous de rage.
Et la radio dit :
- Zarra est retenu par le goal uruguayen. L'arbitre ne le voit pas. Le ballon sort en touche...
Juan aspira une bouffée et lâcha un gros mot, auréolé de fumée. Ensuite il dit :
- Les Uruguayens sont des brutes. Ils l'ont toujours été. Je ne vois pas pourquoi on devrait s'en étonner aujourd'hui.
Il était sept heures et quart du soir et il faisait chaud. L'atmosphère de la pièce était lourde et viciée. Cela sentait les corps sales et mêlés. Dans un coin, il y avait un lit bas et,
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J'ai commencé dans la vie comme enfant trouvé par erreur. Volé avec la voiture, en fait. J'étais garé sur les clous et, pendant les années qui ont suivi, Mamita, quand je ne finissais pas mon assiette, disait que la fourrière allait venir me chercher. Alors je mangeais trop vite et après je rendais tout, mais dans un sens c'était mieux; ça m'évitait de prendre du poids. J'étais l'adopté, je restais à ma place.
Chez les Tsiganes, l'enfant c'est sacré. Il doit être le plus gras possible, pour le prestige; c'est un roi de zéro à quatre ans. Après il se débrouille. Moi je me suis débrouillé sans avoir été roi : je tombais de moins haut, je rasais les murs, je ne disais rien, j'étais le plus maigre. A force de se faire oublier, on y arrive.
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Sur le côté oriental de la montagne qui s'élève derrière le Port-Louis de l'île de France, on voit, sur un terrain jadis cultivé, les ruines de deux petites cabanes. Elles sont situées presque au milieu d'un bassin formé par de grands rochers, qui n'a qu'une seule ouverture tournée au nord. On aperçoit sur la gauche, la montagne appelée le morne de la Découverte, d'où l'on signale les vaisseaux qui abordent dans l'île, et au bas de cette montagne la ville nommée le Port-Louis. Sur la droite, le chemin qui mène du Port-Louis au quartier des Pamplemousses; ensuite l'église de ce nom, qui s'élève avec ses avenues de bambous au milieu d'une grande plaine; et plus loin, une forêt qui s'étend jusqu'aux extrémités de l'île. On distingue devant soi, sur les bords de la mer, la baie du Tombeau; un peu sur la droite, le cap Malheureux, et au-delà, la pleine mer, où paraissent à fleur d'eau quelques îlots inhabités, entre autres le Coin de Mire, qui ressemble à un bastion au milieu des flots
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La porte de la bijouterie s'ouvrit. Un vieil homme à l'allure de père Noël, au visage rond encadré d'une barbe blanche, entra. Il tenait à la main un petit coffret et le serrait comme s'il s'agissait d'un trésor.
- Bonjour. Je viens vous demander un travail un peu spécial, dit-il avec hésitation.
Le bijoutier releva la tête et observa l'homme qui semblait embarrassé .
- Si je peux vous satisfaire ....
Le vieil homme ouvrit la boîte et en sortit une bague ancienne que le bijoutier prit dans sa main. Il fixa contre son oeil une loupe cylindrique et l'examina longuement.
-...Elle n'a pas forcément une grande valeur mais elle appartenait à ma femme qui est morte l'année dernière, sembla s'excuser le vieux.
Le bijoutier ne répondit pas. La bague avait au moins soixante ans. Au centre, il y avait un petit diamant. Quatre fines émeraudes l'entouraient, serties dans une monture en or blanc assez usée.
- Je vais essayer de faire quelque chose, mais je ne vous promets rien. Elle a dû être portée pendant très lontemps et elle est en mauvais état.
- Cette bague a tellement d'importance pour moi... Vous comprenez
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On entendit la chute d'un gros objet sur le plancher du grenier.
- Il va encore tout chambouler là-haut 1 J'ai rangé la semaine dernière. Le panier est juste derrière la porte 1
Amandine se pressa. Elle avait hâte de sortir de la baignoire pour le lui dire et éviter que le grenier ne devienne à nouveau un champ de bataille. Elle posa la savonnette sur le bord, mais le malicieux petit savon vert dérapa, amorça une glissade moussante dans l'eau. Elle sortit de la baignoire, voulut saisir le peignoir qui lui échappa et se bouchonna au pied de la porte. Elle le ramassa, l'enfila tout en appelant son mari qui, probablement trop occupé à chercher, ri'entendait rien.
-Rémi, le panier est derrière la porte !
Rémi ne répondait pas.
- Eric, veux-tu monter au premier et dire à ton père que le panier est sous l'étagère ?
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… Une belle journée de mai, un beau soleil, un ciel pur... Quand les canots étrangers arrivèrent, les bourreaux, sur les quais, mettaient la dernière main à leur oeuvre : six pendus exécutaient en présence de la foule l'horrible contorsion finale... Les fenêtres. les toits étaient encombrés de spectateurs; sur un balcon voisin, les autorités turques souriaient à ce spectacle famîlïer.
Le gouvernement du sultan avait fait peu de frais pour l'appareil du supplice ; les potences étaient si basses que les pieds nus des condamnés touchaient la terre. Leurs ongles crispés grinçaient sur le sable. L'exécution terminée, les soldats se retirèrent et les morts restèrent jusqu'à la tombée du jour exposés aux yeux du peuple. Les six cadavres, debout sur leurs pieds, fïrent jusqu’au soir, la hideuse grimace de la mort au beau soleil de Turquie.
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Le matin, Madeleine et moi grimpons dans le lit de ma tante, qui raconte une histoire. Une histoire romantique à souhait. Une histoire à faire peur et à faire pleurer... et qui finit bien, ça va sans dire : il est question de la princesse Ripinsel enfermée dans une tour par son vilain roi de père. Il est question de cheveux qui pendent jusqu'à terre, à la fenêtre de la tour. Il est question de salades. De jeune fille changée en salade. Ou de salade changée en jeune fille, je ne sais plus. Et - bien sûr - on en redemande.
Un autre matin, c'est l'histoire du petit sapin aux feuilles d'or... C'est l'époque où mon oncle ne se cache pas encore.
Il y a aussi des maquisards, dans la région. Il paraît que l'autre jour une voiture a été arrêtée, entre chien et loup, entre Saint-Gence et Nieul. Tout le monde en parle mais à demi-mot. Quand nous arrivons, nous autres, les mioches, toutes les grandes personnes se taisent aussitôt. Alors, nous retournons danser la ronde :
A suivre.... auters extraits ci-dessous