La littérature :
· Brigitte, qu’est-ce ce que la littérature jeunesse ? Une littérature à part entière ? Il me semble qu’il existe en littérature jeunesse une étroite relation entre l’écrivain et son lecteur, une relation particulière qui pourrait être du domaine de la parentalité, ou au moins une relation d’adulte à plus jeune, avec une responsabilité particulière de la part de l’adulte dans la vision du monde ou de la vie telle qu’il la donne dans ses écrits.
· Faut-il lire les classiques ? Pourquoi ? Je ne crois qu’il « faut ». A des moments de notre vie, nous rencontrons les classiques, au moins certains. Et le moment est important, ni trop tôt ni trop tard, pour que la rencontre soit féconde. Sinon, quel gâchis ! Il est difficile d’aborder Flaubert et Stendhal à 15 ans, mais je connais un enseignant génial qui entraine chaque année toutes ses classes de seconde dans le sillage de Julien Sorel, avec passion.
A mon tour d’oser poser quelques questions, moi qui ait peu étudié la littérature : Qui sont-ils au juste, ces fameux classiques? Baudelaire supporterait-il d’être affublé du qualificatif ? Où se situe la frontière entre les uns et les autres ? Michel Houellebecq sera-t-il considéré comme un classique parce qu’il a su rendre compte de son temps ?
L’avenir du livre ?
· As-tu un avis dessus ? Les nouvelles technologies vont-elles le tuer ?
Il y a des histoires écrites créées pour le net et même pour les téléphones portables. Des feuilletons, des poèmes… De belles histoires, écrites par des écrivains. Tout cela se met en place. L’écrit est loin d’être mort, le livre électronique a un bel avenir, même le livre papier a encore son mot à dire.
Le fruit de ton imagination :
· Comment définis-tu tes écrits ? qu’est-ce qui te guide ? te pousse ? te fait avancer ?
Je suis poussée par les images, par les personnages qui germent, comme je l’expliquais l’autre jour. Mais il y a aussi en moi un guide qui tend un fil conducteur, qui entretient une relation avec le lecteur potentiel, qui lui exprime une vision du monde et de la vie. C’est peut-être là que commence la littérature. Et je pose ainsi un tout début de réponse à la question située plus haut que j’ai esquivée parce qu’elle m’embarrasse.
· Quel est le livre que tu as écrit pour lequel tu gardes une affection particulière ?
La Route des Tempêtes, le tome 2 du Quai des Secrets, publié en 2002. Je crois que c’était du bonheur tout le temps, moins de doute qu’aujourd’hui et l’impression d’une grande harmonie. C’est d’un luxe fou, d’écrire un livre dans ces conditions… Il m’est arrivé de le relire et je l’aime encore (avec un regard critique sur certains passages, bien sûr)… Mais pas plus que d’autres, plus récents, comme ce dernier tome du Château des Poulfenc qui vient de sortir et que j’ai fini d’écrire en février 2010. Là aussi, l’histoire et les personnages m’ont embarquée à la relecture.
· Pourquoi vas-tu dans les salons du livre ? Cela n’est-il pas trop ennuyeux ? Pas du tout ennuyeux. C’est l’occasion de sortir de sa solitude, de se confronter aux autres, de découvrir et ressentir leur talent. Un moment nécessaire pour arriver à se situer en tant qu’auteur parmi les autres. Et puis faire des rencontres, renouer des liens, rire ensemble…
· Ecrire, c’est s’exposer aux regards des autres ? Est-ce compliqué ?
L’exposition aux autres dans l’écriture est sous contrôle de l’auteur, comme l’on dirait d’une situation délicate.
Ecrire, c’est à la fois très courageux et très planqué. Monter sur scène et offrir son visage, et sa voix, ses gestes, aux spectateurs me paraît autrement plus risqué. Je suis cachée derrière mes mots, derrière l’intrigue que j’ai ficelée avec des personnages que j’ai inventés, et personne ne sait le lien qu’ils ont avec ma propre vie. De plus, je ne suis pas à côté de vous, à recevoir des tomates et des huées si vous rejetez mon livre parce que vous ne l’aimez pas. En même temps le regard des lecteurs m’est indispensable pour écrire le livre. La perspective d’être lue est un moteur formidable.
· Quel est le plus beau compliment reçu ? Il y en a plusieurs, je vous en livre deux :
1/ Avant, je ne lisais rien (me dit une jeune fille), maintenant que je l’ai lu (c’était le Journal de Jeanne Letourneur), je veux lire tout…
2/ J’aime tellement ce livre que je lis partout, même en marchant dans la rue.
· La réflexion la plus dure ? Il y a en plusieurs, je vous en livre deux : 1/ Tu ne vivras jamais de ta plume ! 2/Arrête de prendre l’histoire pour une béquille
L’écriture engagée :
· Peut-on tout écrire quand on sait qu’on est lu par des ados ? Evoquer les affres de notre société n’est-il pas périlleux pour le moral de notre jeunesse ? Les jeunes d’aujourd’hui sont nés de nous, qui appartenons à la génération d’au-dessus (voire deux fois au-dessus). J’ose croire que, si nous les avons mis au monde c’est que nous jugions que la vie, malgré ses horreurs et ses difficultés, valait quand même le coup. Vivre, souvent, parfois, c’est dur et ça fait peur. Les jeunes l’ont intégré, ils se débrouillent avec leur temps comme ils peuvent. Il me semble que les livres pour la jeunesse sont un lieu idéal pour aborder des sujets fondamentaux (la vie, la mort, le pouvoir, l’amour, la peur, le sexe, la violence, le courage, la jalousie, l’amitié, la religion…) sans nécessairement engendrer le désespoir. Tout est dans le choix des mots pour le faire. A chaque auteur de mesurer les images et les perspectives qu’il fait naître dans la tête de ses lecteurs.
· Est-il facile d’être engagé et publié ? L’écriture engagée intéresse-t-elle aujourd’hui ? Il y a des formes multiples à l’engagement. Mes livres ne contiennent aucun engagement politique. Historienne du Moyen-âge et de la Renaissance, je crée des personnages vivant dans une société inégalitaire où la lutte pour la vie est âpre. En tant qu’auteure, avec ces livres là, et forte de les avoir faits, je suis entrée dans des dizaines et des dizaines de collèges, de bibliothèques, de lycées professionnels, de maisons rurales où nous avons lu et écrit ensemble, les jeunes et moi. Parfois avec très peu de mots. Et nous avons fait naître quelque chose d’unique, à ce moment-là. Peut-être mon engagement serait-il d’essayer de faire du beau, là où je suis. Certains ont voulu y voir de la mièvrerie. Je pense qu’il n’y en a aucune.
· Comment l’auteur que tu es peut-il garder son indépendance, ses idéaux tout en continuant d’exister sur le marché ?
Je m’occupe très peu du marché. Il s’avère que je suis tombée dans le Moyen âge quand j’étais petite et que l’histoire, et cette période en particulier, est un classique solide.
Les éditeurs, l’édition :
Te sens-tu libre comme écrivain ? As-tu eu à souffrir de la censure ?
T’interdis-tu des choses dans l’écriture ? L’éditeur te « dirige »-t-il beaucoup ? L’éditeur ne me dirige pas du tout et n’a jamais corrigé dans mes livres que de détails de style. Je me sens donc libre. Par rapport à la censure, je ne prends pas de risque : le contexte dans lequel évoluent mes personnages est vieux de plusieurs siècles…
Les éditeurs mènent des études pour connaître les goûts des lecteurs (en matière d’histoires, de personnages,…)… Comment fais-tu pour résister aux modes et toujours être un auteur apprécié ? Je crois que je suis hors de la mode. L’historique est un genre qui a toujours ses adeptes. Disons que je fais ce que j’aime, le mieux possible.