Comment est née l’idée de Rose-Aimée ?
Tout est parti d’un livre, La Fièvre de l’or. Michel Le Bris y explique qu’après les manifestations de 1848, Louis-Napoléon Bonaparte souhaitant éloigner ceux qu’il jugeait trop révolutionnaires avait organisé une grande loterie. Pour les gagnants, un aller simple pour la Californie... Je n’ai pas intégré l’anecdote au roman, mais elle m’a servi de point de départ.
Le titre me vient de la grand-mère d’un ami, qui s’appelait Rose-Aimée. J’ai trouvé le prénom tellement joli que j’ai voulu l’utiliser. Le film French Cancan de Renoir m’a inspiré l’univers des cabarets. On y dansait à l’époque la « chahut », qu’on nommera plus tard « french cancan », et qui est à l’origine une danse de lingères pour montrer leurs jupons blancs.
C’est un livre qui vous tient particulièrement à coeur ?
J’ai mis longtemps à écrire Rose-Aimée, j’y suis revenu plusieurs fois. Je l’ai rédigé au fil de la plume, sans plan préalable : l’histoire est née d’impressions et d’anecdotes que j’avais envie de relier entre elles.
J’aime prendre le temps de développer une histoire, d’écrire ce que j’ai dans la tête. Rose-Aimée est le livre de ma liberté d’écriture, un livre qui n’obéit à aucune commande et que j’ai adoré écrire.
Pourquoi choisir pour cadre le 19e arrondissement de Paris, un des bas-quartiers de l’époque ?
C’est le quartier où j’habite encore aujourd’hui, et que je n’ai jamais quitté. C’était il y a 150 ans une zone de terrains vagues et de lieux de mauvaise vie. J’ai placé le couvent de Rose-Aimée non loin l’immeuble de mon enfance !
Le 19e arrondissement a longtemps gardé des traces de son passé, même si la plupart ont aujourd’hui disparu. J’ai essayé de reconstituer le quartier, tel qu’il était il y a un siècle et demi, mais aussi tel que mon imagination l’a rebâti.
L’histoire se déroule dans les bas-quartiers et on y croise des personnages interlopes, mais ce n’est pas un roman de malfaiteurs. Les héros sont plutôt des gens égarés dans un monde qui n’est pas le leur : c’est particulièrement vrai pour Rose-Aimée.
On est frappé par le soin apporté aux détails du roman : est-ce quelque chose auquel vous accordez beaucoup d’importance ?
J’adore reconstituer la vie quotidienne de l’époque. J’ai d’ailleurs passé beaucoup de temps en recherches documentaires, que ce soit sur les bateaux du XIXe, la mode, les danses, le passage du cap Horn, etc. Je consulte les bibliothèques, les livres que je possède, Internet, les romans même. Beaucoup des équivalents monétaires m’ont ainsi été donnés par les Mystères de Paris d’Eugène Sue.
Rose-Aimée est un roman d’aventures, mais aussi une histoire d’amour. Pourtant, cet amour ne commence pas sous les meilleurs auspices... J’aime l’idée que l’histoire d’amour ne se déroule pas sereinement, entre des gens que rien ne destinait l’un à l’autre : Martial et Rose-Aimée n’avaient rien à faire ensemble, et n’auraient pas même dû se rencontrer.
Rose-Aimée est une femme sur la défensive, entourée d’une malédiction, réelle ou fantasmée, qui la protège de la prostitution mais repousse ceux qui voudraient l’approcher. Elle est dure, presque froide : elle se méfie de l’amour sans savoir ce que c’est, puisque personne ne le lui a jamais appris. Martial va tenter de percer ses défenses par goût du jeu, de l’aventure, et parce qu’il va tomber sincèrement amoureux d’elle.
D’autres obstacles vont venir de Madame Colombel, persuadée de savoir ce qui est bon pour Rose-Aimée : mais comme tous les gens qui veulent faire le bonheur de quelqu’un malgré lui, elle se trompe...
Rose-Aimée est une héroïne atypique : comment la décririez-vous ?
Elle a beaucoup de charme, presque malgré elle, mais elle ne sait pas s’en servir. Elle est terrifiée par la vie, ce qui l’amène à agir maladroitement et à fuir, par peur de la prison, ou tout simplement des autres. À sa décharge, elle vit seule dans un quartier difficile, où la fuite est une question de survie.
C’est une vraie solitaire, qui s’est constitué un monde à part. Elle aimerait changer de vie, mais n’a ni les armes, ni le courage pour le faire. Comme la Belle au bois dormant, c’est au contact de Martial qu’elle va s’épanouir, s’arracher à une vie momifiée.
En ce sens, elle est comme beaucoup de femmes du XIXe siècle : mises au pensionnat à 4 ans, elles en ressortent à 16, parfois sans avoir revu leur famille. On ne leur apprend de la vie que ce qui leur sera nécessaire pour être une bonne épouse.
Et Martial ?
Martial est un homme déterminé, astucieux, courageux à la limite de l’inconscience, mais aussi un séducteur un peu canaille. Il a déjà connu l’amour, mais aspire à une vie tranquille.
Il va fuir lui aussi, pas par manque de courage mais pour se préserver de la douleur des sentiments : il n’est pas lâche, mais démuni face à l’amour, et sûrement un peu auto-destructeur, ce qui ne va pas faciliter l’histoire entre les deux amants.
Les héros agissent selon leurs impulsions, leurs sentiments, que ce soit l’amour ou la douleur : pas toujours de façon logique, mais ce sont aussi les incohérences de la vie.
Le roman est empreint d’histoires de fantômes, de superstititions. Quelle part y joue le surnaturel ?
Tous ces élements inexpliqués reflètent l’ambiance gothique de l’époque. Les fantômes interviennent discrètement. Le couvent est-il vraiment hanté ? Ce qui compte, c’est qu’il le soit dans l’imaginaire des gens. Peut-être voit-on seulement les fantômes qu’on a envie de voir, ou ceux qu’on craint...
Pour la malédiction de Rose-Aimée non plus, je n’ai pas de réponse : il s’agit peut-être d’un tissu de hasards, ou d’une vraie malédiction. Ou peut-être est-ce sa froideur seule qui repousse les gens. Disons que je n’ai pas eu envie d'expliquer ce qui n’en avait pas besoin...
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