L’écriture :
· Pourquoi écris-tu ? Est-ce quelque chose de facile à expliquer ?
Parce que c’est pour moi une nécessité. J’ai besoin d’écrire comme de respirer, si je n’écris pas de deux ou trois semaines je deviens intenable, comme une marmite sur le point d’exploser.
Je ne sais pas comment l’expliquer. J’ai des histoires et des personnages qui attendent, dans ma tête, de sortir. Les histoires tournent, sans cesse, comme les rubik’s cubes de mon enfance, en attendant de s’emboîter comme il faut. Je joue donc avec elles, je tourne les faces, je les manipule, jusqu’à trouver la bonne combinaison, jusqu’au moment ou un problème qui demeurait insoluble jusqu’ici finit par s’emboîter et m’apporter la solution. Alors je sais que l’histoire est prête. Je me mets alors à mon clavier et c’est reparti pour six mois ou un an…
· C’est quoi être écrivain ? Ecrire c’est quoi ?
Un célèbre écrivain américain dont j’ai oublié le nom disait cette chose magnifique quand on lui demandait ce qui qualifiait un écrivain : « Un écrivain écrit. »
Pour moi, c’est aimer raconter des histoires, en premier à soi même, puis aux autres, bien sûr, car nos histoires n’existent que par le regard et le cœur des autres.
Je crois que Paul Valery disait que les romans sont des vampires de papier attendant les lecteurs qui leur prêteront vie. J’aime bien cette image. Quand j’étais jeune, j’imaginais les livres volant comme des chauves souris dans le petit bruit sec de leurs pages agitées dans la pénombre feutrée des bibliothèques, attendant un pauvre lecteur innocent pour s’abattre sur lui.
Ce qui fait un écrivain, à mon avis, c’est qu’il ne pourrait pas s’arrêter d’écrire, même si l’écriture devenait un crime et qu’on lui interdisait.
Pour ma part, j’ai besoin d’écrire, je ne peux m’en passer, si j’arrête trop longtemps, je ne me sens pas bien.
Ecrire c’est une catharsis, une manière de s’apprivoiser, de se dompter, de se connaître, de se comprendre, et à travers soi l’humanité, de s’interroger, de se remettre en question d’apprendre le monde et de s’ouvrir aux autres
· Que penses-tu des écoles américaines dans lesquelles on peut apprendre à écrire ? En France, elles n’existent pas. Quel écrivain es-tu ?
Pour moi c’est complètement extra-terrestre. L’écriture ne se met pas en équation. Quand j’étais enseignant j’ai toujours été très amusé par « Les cinq étapes du récit ». Cette manière de mettre l’écriture en formule… Ca me fait toujours un peu penser au cercle des poètes disparus, quand M. Keating fait arracher la première page du livre ou un sinistre inconnu décompose la poésie en équation.
Comme aurait dit Desproges, je me définis comme un écrivain dégagé, loin de tout courant politique.
S’il y a une chose récurrente dans mon œuvre, pour laquelle je milite, au-delà de tout, c’est la liberté et l’égalité des hommes et des femmes et l’opposition à toute forme d’oppression ou d’aliénation.
· Arthur Ténor parle de lui comme étant un « explorateur de l’imaginaire. » As-tu une formule pour te caractériser ?
Très modestement, un conteur d’histoires.
· L’écriture a-t-elle toujours été en toi ou est-ce quelque chose qui est arrivé tardivement dans ta vie ? Il y a t-il eu un élément déclencheur ?
Comme je te le disais précédemment, j’écris depuis l’âge de neuf ans, et quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais, sans hésiter, « écrivain » ou « dessinateur », qui est ma seconde passion. En tout cas il fallait que je crée et que je raconte des histoires.
Un élément déclencheur ? J’aimais lire, je lisais énormément, et très vite, j’ai eu envie de lire des histoires où mes amis, ma famille et moi même, étions les héros, et comme il n’y avait aucune chance pour qu’un écrivain s’intéresse à mon cas, il a bien fallu que je prenne le taureau par les cornes. J’ai donc attrapé un stylo, des feuilles, et je me suis mis à écrire… A quarante et un ans, maintenant, le virus ne m’a pas lâché.
· Pour qui écris-tu ? A moins que ce ne soit pour un public ? Pour être lu ?
Pour moi tout d’abord, car je suis la première personne à qui je raconte mes histoires, mais ceux à qui je les destine sont : ma femme, Stéphanie (à la fin du cinquième tome du Galoup je lui ai écrit que j’aurais pu résumer ce livre en trois mots « Je t’aime » et c’était vrai), pour mon fils, ma famille et mes amis, et enfin pour tous ceux qui se retrouveront dans ces pages et qu’elles feront rêver.
Bien sûr que j’écris pour être lu, nous écrivons tous pour être lu, comment prétendre le contraire ? Sinon pourquoi envoyer son livre chez un éditeur ? Si nous ne voulions pas être lus, nous brulerions nos livres une fois ceux ci terminés, ou nous les enfermerions dans un coffre pour que personne d’autre ne les lisent. Ou mieux encore, nous ne les écririons pas. Figer une histoire sur le papier c’est déjà un acte de transmission, une volonté de faire durer cette histoire, de la partager.
· Le public/l’éditeur t’ont-ils influencé à un moment donné ?
Non. J’écris mes histoires comme elles me viennent. Quand j’y trouve quelque chose d’intéressant, je le creuse et j’essaye de voir où ça me mène, de dégager le fossile de la roche, comme dirait Stephen King. Mais jamais je ne me suis demandé « Est-ce que ça plaira à untelle ou unetelle ? » ou « A qui ça s’adresse ? » Quand j’écris une histoire, je ne me pose aucune limite, aucune contrainte, ni la question de savoir si c’est dans l’air du temps ou vendeur. Pour moi, se poser ce genre de questions est le meilleur moyen de faire quelque chose d’insipide et sans saveur. J’ai déjà vu, au cinéma, ce que cette logique poussée à l’extrême engendrait comme progéniture… Je me souviens de quelques nanars redoutables…
· Cette fameuse imagination, d’où vient-elle ? De quoi t’inspires-tu ?
De mes lectures tout d’abord, des milliers de livres que j’ai lu, des films que j’ai vus. Tout ça fermente, au fond de mon crâne, en une alchimie dont je n’ai pas conscience, et, parfois des années plus tard, engendre de surprenants surgeons…
Je ne me rappelle plus quel auteur très célèbre disait, quant on lui demandait ce qu’il fallait faire pour devenir écrivain : « Lire, lire, lire… » Et c’est vrai. Il faut de la matière première à mettre dans la chaudière pour la faire brûler. Comme pour le dessin ou la peinture, on commence par ingurgiter, on copie ses modèles, puis on s’émancipe, quand on a fini de les digérer. Mais je ne pense pas qu’on puisse venir à l’écriture si on n’a jamais lu.
En ce qui concerne mon inspiration, et bien elle me vient de tout ce qui m’entoure, des lieux que je hante, des gens que je fréquente, qui sont, pour moi, une source inépuisable d’inspiration. Nous avons tous les acteurs de nos livres autour de nous. On cherche un personnage de gueulard sympathique ? On a tous un tonton un peu fort en gueule qui passe les repas de famille à brailler à en faire tomber les oreilles des autres. On a besoin d’un méchant ? On a tous connu des sales types qui nous ont empoisonnés la vie… Et qui croyez-vous qui va se faire bouffer par le monstre quand on aura besoin d’une victime pour faire peur à tout le monde ? Certains de ceux qui m’ennuyaient à l’école, quand j’étais gosse, n’ont jamais su le sort que je leur réservais dans mes livres, et même encore…