Ecrire...
· Comment définis-tu tes écrits ? qu’est-ce qui te guides ? te pousses ? te fais avancer ?
Mon moteur, c’est l’émotion, à la fois celle que je ressens et celle que j’ai envie de susciter chez mon lecteur.
· Quel est le livre que tu as écrit pour lequel tu gardes une affection particulière ?
Sans doute Le Passager de l’orage et L’Incroyable Voyage de Simon. Car ce sont des livres très symboliques, qui tous deux retracent une expérience initiatique.
· Pourquoi vas-tu dans les salons du livre ? Cela n’est-il pas trop ennuyeux ?
Ennuyeux ?! Ah, non alors ! D’abord parce que c’est l’occasion de rencontrer des lecteurs et, souvent, d’avoir de jolis échanges avec eux. Ensuite, parce que c’est aussi le moment où on retrouve les potes auteurs ! Pendant deux ou trois jours, on signe ensemble, on mange ensemble, on passe nos soirées ensemble, on casse du sucre sur le dos de nos éditeurs, on échange des tuyaux, et surtout, on rigole bien ! C’est un peu comme une grande famille dont on découvrirait de nouveaux membres à chaque nouveau salon. À la fin, on échange nos coordonnées comme quand on partait en colo à la fin du séjour. J’adore ces moments-là. Ça me refile la pêche et je repars toujours avec une folle envie d’écrire !
· Ecrire c’est s’exposer aux regards des autres ? Est-ce compliqué ?
Oh là, là ! Tu vas pas jouer les Pivot, du style “Quand vous écrivez, est-ce que vous avez l’impression de vous mettre en danger ?”.
On n’expose que ce que l’on veut bien exposer, d’abord. Alors soit on est exhibitionniste et on y va à fond dans le côté “Mon père battait ma mère” ou “J’ai été violé/ée à douze ans”, soit on avance masqué et on enrobe si bien les éléments autobiographiques qu’ils en deviennent indécelables.
La seule chose que j’ai l’impression “d’exposer au regard des autres”, pour ma part, c’est ma façon d’écrire, mon style, c’est pourquoi je le soigne !
· Quel est le plus beau compliment reçu ?
Il m’arrive souvent qu’un jeune vienne me voir à l’issue d’une rencontre et me dise en aparté : “Jusque-là, je détestais lire, et votre livre, j’ai pas pu le lâcher !”. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse me faire.
· La réflexion la plus dure ?
“Vous faites plus jeune sur la photo !”… (no comment)
La littérature et Claire
· La littérature c’est quoi ? Cela sous entend que tout ne serait pas littérature…
Une bonne histoire racontée dans une langue exigeante.
· Qu’est-ce ce que la littérature jeunesse ? Une littérature à part entière ?
Un bon roman pour la jeunesse doit pouvoir être lu et apprécié aussi bien par les jeunes que par les moins jeunes. J’ai beaucoup de mal avec les étiquettes, les cases, les catégories… “Littérature jeunesse”, “littérature vieillesse”, tout ceci est un peu ridicule : il y a les bons et les mauvais livres, point !
· Faut-il lire les classiques ? Pourquoi ?
Oui, bien sûr ! Ce sont Maupassant, Balzac, Zola, Dumas, Giono, Aragon, Melville, Dickens et les autres qui m’ont appris à écrire ! Aujourd’hui encore, ils nourrissent mon écriture, je m’y replonge régulièrement avec délice, partant du principe qu’une piqûre de rappel ne peut jamais nuire…
Mais j’ai envie de dire qu’aujourd’hui, les ados ont peut-être plus de mal à aborder directement les classiques. Mettre Les Chouans entre les mains d’élèves de quatrième est un moyen efficace de les dégoûter à vie de la lecture, n’en déplaise au gouvernement actuel ! C’est pourquoi je me pose en ardent défenseur de la littérature jeunesse, car il n’est plus à prouver que c’est grâce à son incomparable richesse et à sa grande variété qu’aujourd’hui chaque jeune lecteur peut trouver le type de roman qu’il aime et ainsi prendre goût à la lecture, ce qui l’amènera ensuite à aller à la découverte des “classiques”…
Le style, la phrase, le mot…
· Quelle est la phrase qui te pose le plus de souci dans l’écriture ? L’incipit ?
La première phrase est capitale. C’est comme une porte qui s’ouvre sur l’inconnu. Selon ce qu’elle donne à voir au lecteur, il a envie de l’ouvrir plus largement et de continuer… ou bien de la refermer et de passer son chemin ! C’est pourquoi je la travaille (et souvent retravaille) énormément. J’ai même un carnet dans lequel je note tous mes incipits !
· Quel style préfères-tu ? style indirect libre… « je » ou « il »…
Je n’ai pas de préférence : chaque roman que j’écris a sa voix propre. Je ne la trouve d’ailleurs pas toujours du premier coup !
· As-tu la plume facile ? Où est-ce laborieux ? Te faut-il raturer beaucoup ?
Si c’était un pensum, j’arrêterais tout de suite ! Mais je retravaille beaucoup mes textes avant d’arriver à la version définitive. Tant que ça ne “sonne pas juste”, je réécris !
· Comment définirais-tu ton style ?
Cinématographique… Mais ce n’est pas moi qui le dis, ce sont mes lecteurs !
· Combien dure la phase avant l’écriture (recherches…) ? Et la phase d’écriture ? Combien écris-tu de livres par an ?
Je suis lente et j’aime prendre mon temps. Je passe deux à trois mois à prendre des notes sur le livre à venir avant de me lancer dans la rédaction proprement dite, laquelle dure facilement quatre mois. J’ai donc du mal à écrire plus de deux livres par an, sauf quand, entre deux romans de deux ou trois cents pages, je m’accorde une “récréation” en écrivant un texte (généralement humoristique) pour les plus petits !
· Quelle phase préfères-tu ? La recherche des idées ? l’écriture ?
Chaque étape me passionne. D’autant que d’un livre à l’autre, c’est à chaque fois une nouvelle expérience.
· Quel place a le mot dans tes romans ? Le vocabulaire est-il très important pour toi ?
J’accorde une très grande importance au mot, à la langue, au rythme. J’aime que chacune de mes histoires trouve son propre souffle, son propre timbre, ce qui nécessite beaucoup de travail. Je ne me contente pas de refaire ce que je sais déjà faire. À chaque nouveau livre, j’essaie de trouver une manière nouvelle d’utiliser la langue. En fait, je crois que j’écris beaucoup avec mes oreilles…
· Fais-tu attention à la longueur de tes phrases ? Pierre Bottero faisait des phrases courtes ; parfois, il ne les finissait pas pour laisser le soin au lecteur d’imaginer, de rêver et donc de les terminer lui-même.
J’aime beaucoup l’écriture de Pierre. J’ai beaucoup d’admiration à la fois pour l’écrivain et pour l’homme et c’est toujours avec beaucoup d’émotion que je pense à lui. Le style de Pierre n’était simple qu’en apparence. Il y avait chez lui une grande rigueur dans le choix du mot précis, une grande exigence qui conférait à son écriture beaucoup de finesse, surtout dans les descriptions. Mais ce que j’apprécie par-dessus tout dans les romans de Pierre, c’est la présence constante de l’émotion. C’est aussi mon moteur. Lorsqu’un lecteur vient me confier qu’il a eu des frissons, les larmes aux yeux, ou même qu’il a pleuré en lisant mes livres, je suis heureuse, je sais que j’ai réussi à faire passer quelque chose.
· Qu’est-ce qui fait que pour toi, une phrase est bonne ?
C’est qu’elle rend un son juste. Qu’elle ne contient rien de trop et qu’il ne lui manque rien. Harmonie (au sens musical) et équilibre sont les maîtres mots.
· Utilises-tu beaucoup de documentation ?
Lorsque je travaille sur un sujet historique comme dans Breaking the Wall, oui ! Je raconte la vie de plusieurs personnages à Berlin Est entre les années 70 et la chute du Mur, j’avais intérêt à être bien documentée pour ne pas dire n’importe quoi !
Claire Gratias : les lieux de ses romans
· Claire, comment t’inspires-tu pour créer un lieu ? Une atmosphère ?
Je regarde avec attention le film qui se déroule dans ma tête et je “rentre dedans” pour m’imprégner aussi des sons, des odeurs, de l’ambiance…
·Te rends-tu sur place ? Visites-tu beaucoup ?
Mes lieux étant imaginaires, je me contente de “voyager dans mon fauteuil” !
* Est-il facile de partir de rien ou de ce que l’on connaît ?
Je ne crois pas à la création qui surgirait ex nihilo. On part toujours de ce que l’on connaît, même si on ne s’en souvient plus, ou même si on le transforme, si on mélange plusieurs lieux que l’on a connus, etc. C’est ce travail que Gide nommait la “stylisation du réel”.